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La Rue Manga
2 mai 2010

"Mockumentary" ou documentaire?

Les voies du distributeur sont impénétrables. A moins de vouloir plomber le film du graffeur anglais Banksy, on ne voit pas l'intérêt du titre français en forme de jeu de mot fumeux :'Faites le mur'. Le titre original est beaucoup plus pertinent et ironique : 'Exit Through the Gift Shop', qu'on peut traduire par « La sortie se fait par la boutique ». Une issue qui en dit long sur le chemin pris par le street art en particulier et l'art en général. Car 'Faites le mur' est un bien un film sur l'art contemporain.
Reste à savoir s'il s'agit d'un film de Banksy ou de Thierry Guetta. Thierry qui ? Guetta, un frenchy au faux air de John Belushi dans 'The Blues Brothers' – chapeau et rouflaquettes – qui a croqué du rêve américain en vendant des sapes à Los Angeles. Mais son vrai hobby, à Thierry, c'est de filmer avec son camescope. N'importe où, n'importe quand, n'importe qui, n'importe comment. Il se trouve que le cousin du serial filmeur s'appelle Space Invaders, un pseudo qui commence à se faire un nom en collant des mosaïques inspirés du jeu vidéo sur les murs de Paris à la fin des années 1990. C'est par lui que Guetta se met à frayer avec la nébuleuse dustreet art et à filmer les virées nocturnes de ses nouveaux amis.
La première heure du film se compose d'un montage des images de Guetta. Mal cadrées, blafardes, elles restituent parfaitement l'atmosphère de guérilla urbaine des activistes de la bombe des années 2000. On croise donc, à Paris, Space Invaders, Zevs ou André et, à Los Angeles, Shepard Fairey, qui deviendra mondialement célèbre en 2008 avec l'affiche de Barack Obama, 'Hope', véritable icône de la campagne présidentielle américaine de 2008.

 

Par l'intermédiaire de Fairey, Guetta finit par rencontrer Banksy. Le natif de Bristol est alors connu pour ses installations sauvages, ses détournements de toiles de maître dans les musées ('La Joconde' au smiley accrochée au Louvre, c'est lui) et pour ses pochoirs sur les murs des grandes villes. Flics homos se roulant des pelles, distributeur de billets à l'effigie de Lady Di, ou trompe l'œil (paysage de montagne, île tropicale) sur le mur de séparation entre la Palestine et Israël… Banksy est le chroniqueur acide du monde tel qu'il va. A défaut de vivre heureux, il vit caché pour ne pas devenir la cible des médias et de la police.
Dans le film comme dans la vie, Banksy garde donc l'anonymat (visage caché sous une capuche, voix trafiquée). Il raconte comment il a fini par suggérer à Guetta de réaliser un documentaire à partir des centaines d'heures de rushs accumulées. Et comment il a été affligé du résultat : un clip nauséeux tourné par un épileptique.
Banksy conseille plutôt à Guetta de se lancer dans le street art et empoigne à son tour la caméra pour suivre l'ascension du wannabe famous artist . Banksy-Frankenstein filme le monstre qu'il a créé. Car Guetta ne se contente pas de coller des pochoirs sur les murs de L.A. Il seraJeff Koons ou rien et se lance dans une gigantesque expo, qui est à deux doigts de tourner au fiasco.

 

Une séquence hilarante résume l'entreprise : on y voit Guetta, aka Mr. Brainwash (M. Lavage de cerveau en VF), répondre à une interview dans son franglish impayable, à une heure du vernissage, tandis qu'une armée mexicaine d'assistants accroche les œuvres de ce Warhol à moustache. Des croûtes et des installations vaseuses, un mix caricatural de street art et pop art, dont chaque pièce se vendrait entre 200 000 et 300 000 dollars.
« Je ne sais pas s'il y a une morale à cette histoire », avoue Banksy. Une morale, peut-être pas mais un doute, sûrement. Pas besoin d'être conspirationniste pour se demander si ce Mr. Brainwash n'est pas une géniale supercherie. Et si le film de cet insaisissable Banksy était un « mockumentary » ? Un faux documentaire destiné à démontrer par l'absurde la marchandisation de l'art ? Dans ce cas, il faut admettre que le canular est magistralement mis en scène. A tel point que Thierry « Brainwash » Guetta donne des interviews au téléphone aux journalistes français (Le Point, le JDD), depuis l'immeuble de cinq étages à Miami où il organise sa troisième exposition. 
Après Houellebecq dans 'La Carte et le territoire', Banksy tente donc de percer l'énigme de l'art contemporain. Ou, c'est selon, de renforcer son opacité.

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